Ariane Orjikh: la gardienne du lac Memphrémagog
PERSONNALITÉ DE L’ANNÉE. Beaucoup de chemin parcouru en dix ans pour Ariane Orjikh, cette jeune patrouilleuse nautique devenue directrice générale du groupe environnemental Memphrémagog Conservation Inc. (MCI). Cette biologiste de formation est de tous les combats, des deux côtés de la frontière, pour protéger un plan d’eau qu’elle adore, le lac Memphrémagog.
On la voit moins dans les médias, préférant laisser les caméras à la présidente ou aux membres du conseil d’administration. Elle demeure néanmoins aux aguets pour constamment préserver ou conserver la qualité de l’eau du lac, une source d’eau potable pour 175 000 Estriens.
Elle affiche présente pour combattre les moules zébrées, mais aussi toutes les autres espèces nuisibles et envahissantes, déjà présentes ou à venir. Elle surveille les cyanobactéries, l’apport en phosphore et les impacts des changements climatiques. Elle et son équipe informent les riverains sur les bonnes pratiques de protection des rives. Elle supervise maintes études, comme celles sur les impacts de la pêche et sur le nombre d’embarcations sur le plan d’eau (5200 bateaux du côté canadien en 2021).
La biologiste de 37 ans est aux premières loges, en compagnie d’élus, pour prévenir les impacts de l’agrandissement du dépotoir de Coventry, au Vermont. Leur but est de s’assurer que les Américains construisent aussi une usine d’épuration performante, filtrant notamment de nouveaux contaminants chimiques en provenance de ce lieu d’enfouissement situé sur les rives du lac Memphrémagog.
Son travail, ses rencontres et ses conférences pavent aussi la voie à la création d’aires protégées ou de dons de terrains à protéger à perpétuité, en collaboration avec Corridor appalachien. Elle cite notamment l’exemple de la Réserve Dunn, à Ogden, l’un de ses endroits préférés et «presque vierges» au lac Memphrémagog.
LA CHASSEUSE DE MOULES
Ariane Orjikh a effectué une centaine de plongées sous-marines en 2022 pour combattre les moules zébrées aux lacs Memphrémagog et Massawippi. Les recommandations transmises aux autorités municipales proviennent de ses observations sous-marines.
Ariane Orjikh était dans son élément pour vivre une année fort occupée qu’elle n’a pas vu passer. Elle adore la plongée, et le retour sur le terrain l’a particulièrement stimulée après quelques années passées devant l’ordinateur. «Je n’ai jamais autant plongé, admet-elle. On était plusieurs à retirer les moules du lac Massawippi. Denis Mongeau m’accompagnait au fond du Memphré pour retirer les moules qui commencent à s’accumuler à l’embouchure des prises d’eau de Magog et de Sherbrooke. On plonge aussi pour vérifier leur densité et prévenir leur prolifération.»
Elle apprécie cette collaboration et le partage d’expertises avec l’organisme Bleu Massawippi. Son travail se concentre toutefois au lac Memphrémagog, en lien avec ses responsabilités de directrice générale du MCI. Elle supervise deux autres biologistes dans l’équipe, en plus de siéger sur des conseils d’administration et des comités comme le RAPPEL, le COGESAF et le Groupe de travail Vermont-Québec.
Ses mandats consistent, notamment, à vérifier l’arrivée possible du myriophylle à épis, tout en collaborant à la rédaction du Plan de conservation des milieux naturels et humides à Magog. Elle conseille aussi le Groupe régional de travail des milieux humides, qui prépare, lui aussi, son plan d’action.
Ces mandats et implications sont tout à fait naturels, aux yeux d’Ariane Orjikh. «J’ai toujours rêvé de travailler dans un organisme sans but lucratif, confie-t-elle. Ça me donne l’occasion de travailler dans mon domaine, et de faire davantage de terrain que derrière un bureau du gouvernement. Notre travail permet aussi de mettre notre lac dans les priorités des élus. On sent la volonté politique prendre de plus en plus forme.»
La politique active ne l’intéresse pas, mais elle sait très bien qu’elle en fait en coulisses. «Depuis 10 ans au MCI, je suis fière d’avoir contribué à développer des liens étroits avec le milieu, ce qui a permis d’accroître la mobilisation et de mieux exploiter les expertises de chacun. On sent une reconnaissance accrue, et on nous écoute davantage.»
BIOGRAPHIE
Née à Saint-Bruno-de-Montarville, Ariane Orjikh a un père chilien ayant des origines russes et ukrainiennes, comme on le constate avec son nom de famille. Sa mère québécoise faisait partie des premières femmes qui initiaient une carrière en sciences au Québec au début des années 1970.
Cette scientifique en herbe a grandi dans les deux cultures et a voyagé en Amérique latine dès l’âge de 6 ans. Elle a étudié les sciences de la nature et les sciences humaines au Cégep avant de compléter un baccalauréat en biologie et une maîtrise en biologie et écologie internationale à l’Universite de Sherbrooke.
Elle a effectué quelques stages internationaux, dont un en anthropologie au Guatemala pour réaliser une étude anthropologique sur l’environnement d’une communauté maya.
S’ajoute un stage au Mexique sur la conservation de la tortue luth, le plus gros reptile du monde menacé de disparition. Des militaires mexicains surveillaient tout près pour assurer sa sécurité et celle de ses collègues. Cette équipe récoltait des oeufs de cette espèce de 150 millions d’années qui a connu l’époque des dinosaures. «On nous surveillait, car c’est dangereux de pratiquer l’écologie dans certains pays. Des gens qui vendent ces oeufs pour ses propriétés soi-disant aphrodisiaques ne partagent pas les mêmes valeurs que nous. J’ai connu un collègue qui s’est fait tuer pendant qu’il faisait le même travail que moi.»
EN RAFALE:
- Ses idoles: Hubert Reeves et les écologistes d’Amérique latine qui persistent malgré les menaces
- Un rêve: Que le Québec investisse autant de millions $ que le Vermont en environnement
- Ses loisirs: le ski de fond à Melbourne, près de Richmond, et la randonnée pédestre aux monts Ham, Chapman et Stoke
- Pourquoi l’écologie: pour son côté humaniste, car « les humains ont besoin de la nature pour survivre à long terme »
- Sur l’avenir de l’humanité: «Je suis optimiste et je ne suis pas écoanxieuse. Mon degré d’optimisme est cependant à la baisse.»