Le temps des Fêtes dans Bolton vers 1911
Dans les années 1910, les Canadiens-français catholiques de l’est du canton de Bolton sont noyés dans une majorité anglo-protestante. Ils ont peu d’écoles et, en raison des mauvais chemins, le curé d’Eastman ne peut célébrer la messe qu’une fois par mois dans la modeste chapelle de Millington. En 1912, les Bénédictins français de Saint-Benoît-du-Lac prennent en charge la petite mission catholique environnante et l’école primaire. Noël est une grande fête populaire et les fidèles affluent pour la messe de minuit dans la chapelle de Millington où règne une ambiance festive unique : musique de l’harmonium, crèche, effluves d’encens, rites liturgiques, cantiques traditionnels et surtout le «Minuit chrétien», écouté toujours avec émotion. De retour à la maison c’est le réveillon avec son menu traditionnel : tourtières, beignes, tartes, etc. On évoque alors les proches, disparus ou absents, les événements du jour et les projets d’avenir. Les propos sont empreints de cette sérénité que la messe de minuit a diffusée dans les cœurs. Le Jour de l’An est plus profane; c’est un jour privilégié pour la vie de famille. Chez plusieurs, le matin, le papa bénit ses enfants, puis on distribue les étrennes; les enfants les reçoivent avec des exclamations de surprise et de joie. D’ailleurs, dès le réveil, les plus jeunes s’assurent que le «bas du Jour de l’An» est bien là, avec des friandises, peut-être même une orange, fruit rare à cette époque. Au petit monastère de Saint-Benoît-du-Lac, le fondateur, Dom Paul Vannier, rapporte dans son journal sa première expérience canadienne des Fêtes. Le 25 décembre «à minuit commence la messe, une messe basse faute de chantres. 20 personnes y assistent et 14 communient. À minuit 40, je fais la consécration et l’Enfant Jésus descend dans ce Bethléem nouveau pour y résider. Je le remercie de bien vouloir consoler par sa présence au milieu de nous le côté pénible de notre situation». D’autres moines viendront d’Europe l’aider à implanter la vie bénédictine et partager les tâches paroissiales à East Bolton et aux environs. Parfois étonnés et amusés, ils observent les coutumes des Canadiens-français avec bienveillance. Certaines coutumes viennent de France, parfois modifiées; d’autres sont nées des conditions de vie du pays. Avec les années et l’entrée des novices, la communauté se canadianise; elle adapte au contexte monastique certaines traditions locales. Ainsi, la messe de minuit est suivie d’un réveillon, mais pris en silence pour respecter la règle. Puis, le 31 décembre, le supérieur rappelle les événements marquants de l’année, et remercie Dieu pour son assistance. Le lendemain, 1er janvier, après l’office des Laudes, le supérieur donne sa bénédiction suivie de l’échange des vœux du Nouvel An. Le soir, après le repas, se déroule une veillée récréative qui ressemble à la festivité « Christmas Tree » des agglomérations protestantes environnantes : musique instrumentale, chants en solo ou en chœur, déclamations, sketchs, etc. Et la soirée se clôture à l’église par l’office de Complies. La vie d’alors des Canadiens-français de Bolton est rude. Leurs terres, achetées ou louées, produisent peu, et ils doivent trimer dur pour les mettre en valeur, et les moissons sont souvent chétives. Cependant, pour eux aussi, la période allant de Noël à l’Épiphanie (les Rois), introduit un répit au début de l’hiver. Ils s’y préparent, ils économisent pour que la table soit mieux garnie et fasse oublier les privations habituelles. Les visites aux voisins, aux proches et aux amis pour les échanges de vœux consolident les liens familiaux et sociaux. La majorité d’entre eux sont catholiques et ils restent attachés à la foi de leurs pères, sauf une minorité, anglicisée et passée au protestantisme. Pour nos «Canayens», le caractère religieux des Fêtes est primordial. La présence d’un prêtre leur permet de se «mettre en règle» en se confessant. La prédication du prêtre raffermit leur foi et, à Noël, la présence de l’Enfant Jésus dans la crèche devient pour eux source de joie, de paix et de réconfort. Par Dom René Salvas, O.S.B., Saint-Benoît-du-Lac