Marie-Eve Lejour : la capitaine qui brave les intempéries
PERSONNALITÉ. À titre d’entrepreneure, Marie-Eve Lejour a traversé bien des tempêtes – et même des inondations – au cours des 20 dernières années. Mais savoir se relever et faire preuve de créativité, voilà deux facettes qui caractérisent bien la propriétaire de la Savonnerie des Diligences, une personnalité d’affaires avantageusement connue dans la MRC de Memphrémagog.
Lorsque son domicile d’Austin a été inondé le 10 juillet dernier, la femme de 47 ans a bien cru que le sort s’acharnait sur elle. C’était surtout la deuxième fois qu’elle était frappée par un tel sinistre naturel en l’espace de quatre ans.
« En 2019, le bâtiment abritait à ce moment la compagnie. Imaginez un peu les dégâts quand l’eau s’engouffre dans un sous-sol où sont entreposés des milliers de savons », image-t-elle.
« Et quatre ans plus tard, cette propriété (qui lui sert maintenant de résidence personnelle) n’était plus assurable contre les inondations », ajoute-t-elle avec dépit.
Un brin découragée, Marie-Ève Lejour tente tout de même de tourner la situation en dérision, en se vidant le cœur lors d’un « Open Mic » au cabaret de la Marjolaine.
Sa « coach » Janie Duquette, qui possède une vaste expérience du milieu artistique, flaire un certain potentiel. « Elle m’a encouragée à monter mon propre spectacle et à transformer le négatif en positif. À peine deux mois plus tard (18 septembre), j’étais sur scène devant 200 personnes pour la première représentation de « Lejour se lève », un récit témoignage tragico-comique », décrit-elle.
« Et le 19 novembre dernier, je donnais une seconde représentation à Grondines, à l’invitation d’une amie. Je ne crois pas que je vais partir en tournée à travers le Québec, badine-t-elle. Mais je peux quand même dire que je me suis fait un très beau cadeau avec ce spectacle.»
Une chirurgie inévitable
Un beau cadeau, c’est aussi ce que s’est offert la mère de deux adolescents, en 2021, en subissant une chirurgie bariatrique.
Une intervention qui n’est pas banale, mais qui était devenue nécessaire, juge la principale intéressée. « J’avais toujours vécu avec un surplus de poids et ça ne m’avait jamais empêchée d’être active. Mais avec la pandémie, les choses ont empiré et j’avais perdu beaucoup de mobilité. J’étais incapable de marcher plus d’un kilomètre », cite-t-elle en exemple.
« J’ai décidé qu’il était temps de penser à moi en priorité, si je voulais poursuivre mes projets. »
« Depuis l’opération, j’ai 160 lb en moins, j’ai retrouvé la santé et j’ai pu me remettre en action. Et ça m’a fourni du bon matériel pour mon spectacle », lance celle qui s’est même permis une chanson entre ses monologues.
« Je ne suis pas une interprète de haut niveau, mais je crois que je chante assez juste. Et s’il faut toujours attendre la perfection avant de se lancer dans quelque chose de nouveau, on n’essayera jamais rien. »
Les débuts en 2005
Présidente et fondatrice de la Savonnerie des Diligences, Mme Lejour a débuté son entreprise en 2005 en compagnie de son conjoint de l’époque, sans trop savoir dans quelle aventure elle s’embarquait. « On a pris 200 $ sur notre marge de crédit pour s’acheter des moules, et on a commencé la fabrication de nos savons dans le sous-sol, avec une recette artisanale. Et en plus, nous n’avions aucun plan d’affaires « , se souvient-elle en riant.
Se taillant rapidement une place dans le marché des savons artisanaux, la petite entreprise d’Eastman augmente graduellement son catalogue, avec des savons aux multiples essences et de nombreux autres items pour les soins corporels et l’entretien domestique.
Devant la croissance exponentielle, la Savonnerie quitte son repaire initial du chemin des Diligences en 2017 pour s’établir dans un local plus vaste, à Austin.
Au plus fort des activités, on compte 45 employés et 200 produits sur les tablettes.
« Dans les années 2016 à 2019, il y a eu un boom incroyable pour tout ce qui touchait l’environnement, le zéro déchet, etc. Et c’était justement ce qu’on préconisait. On a notamment été la première compagnie québécoise à commercialiser des produits dans des pots « Mason » réutilisables », détaille-t-elle.
Mais toute cette effervescence, c’était avant la première inondation, et surtout, avant que ne survienne la pandémie.
Une course à la matière première
Comme bien des entreprises, la Savonnerie des Diligences est fortement impactée par l’arrivée de la Covid-19, à compter de mars 2020.
Les mesures sanitaires, qui compliquent tout ce qui touche à la main d’œuvre, et surtout la pénurie de matière première (pour la fabrication des savons) viennent mettre des bâtons dans les roues de Marie-Ève Lejour et son équipe.
« En raison des difficultés d’approvisionnement sur la scène mondiale, il y avait une course entre les entrepreneurs à savoir qu’il allait réussir à mettre la main sur une cargaison de beurre de karité ou d’huile de coco ».
« Pour la première fois depuis plusieurs années, on devait gérer une décroissance de nos activités au lieu d’une croissance », se désole-t-elle.
Tout sous un même toit
Question de redonner un second souffle à son entreprise, la patronne de la Savonnerie des Diligences redéménage son usine de fabrication à Bolton-Est (343, route Missisquoi) au sortir de la pandémie et ouvre une nouvelle boutique au Café La Station Eastman, au cœur du village.
Malgré ces initiatives prometteuses, la décroissance se poursuit et force Marie-Ève Lejour à prendre de cruelles décisions, tout juste avant la fin de l’année 2023.
« On a été contraint de diminuer de moitié notre gamme de produits et de garder une quinzaine d’employés seulement. Ça me fait mal au cœur, car plusieurs sont des alliés de longue date et des amis personnels », se désole la dirigeante.
« On a aussi fait le choix de fermer notre boutique de La Station, même si ça fonctionnait bien, et de rapatrier toutes nos activités sous un même toit (sur la route Missisquoi). À compter du 5 janvier (2024), les gens pourront faire leurs achats dans notre nouvelle salle de montre, « Le Comptoir d’usine ». Éventuellement, on offrira aussi des visites guidées de nos locaux de production », avance-t-elle.
Au moment de l’entrevue avec le Reflet du Lac (début décembre), la femme d’affaires n’avait pas encore annoncé publiquement tous les changements apportés à son entreprise. Mais pas question pour elle de se défiler devant les médias.
« L’actuelle situation demande de l’humilité, mais c’est important pour moi de donner l’heure juste. On doit effectuer des virages à 180 degrés, qui, espère-t-on, seront positifs. Par exemple, au lieu d’être dépendant des fournisseurs étrangers, on achète maintenant notre huile de canola directement des producteurs canadiens ».
« On a décidé de prendre nos responsabilités parce qu’on veut être là encore longtemps », conclut Marie-Eve Lejour sur un ton optimiste.
(Photo Le Reflet du Lac – Patrick Trudeau)