Parents et organismes s’asseyent pour les 30 000 enfants sans place en garderie
MONTRÉAL — L’organisme Ma place au travail a organisé un sit-in devant l’Assemblée nationale pour une troisième année consécutive pour réclamer plus de places en milieu de garde, mais aussi une meilleure qualité de ces milieux ainsi qu’une valorisation du travail d’éducatrice.
Marylin Dion, l’une des organisatrices de l’événement, qui s’est déroulé dimanche matin, signale que près de 30 000 enfants sont sur une liste d’attente pour avoir une place en garderie.
«Ça avance, mais à pas de tortue, lance-t-elle en entrevue à La Presse Canadienne. Ça va beaucoup trop lentement. Donc, malheureusement, c’est toujours aussi pertinent de se mobiliser, parce qu’il y a encore cette urgence pour les familles du Québec.»
Et les chiffres seraient même sous-estimés, avance Ma place au travail, car ils ne prennent pas en compte les enfants à naître, qui auront eux aussi besoin des places dans trois ou six mois. «Ça fait beaucoup de monde qui n’a pas accès à ce service qui, selon nous, est un droit fondamental finalement. Parce que ce manque d’accès se répercute directement sur les parents», souligne Mme Dion.
Rappelons que la raison d’être de l’organisme, dont elle est la responsable des affaires publiques, est de faire en sorte qu’aucun jeune parent ne soit obligé de renoncer à retourner travailler faute de pouvoir confier son poupon à une crèche.
Ma place au travail demande à ce que le gouvernement inscrive dans les textes de loi «le droit inconditionnel et universel de fréquenter une place en service de garde éducatif». Marylin Dion déplore que ce besoin des familles soit à la merci «des priorités du moment du parti au pouvoir».
L’organisme à but non lucratif fait valoir que malgré les initiatives du gouvernement, celui-ci tente de «remplir un seau percé».
«Il y a des milieux qui ferment et ça on le sait, pointe Mme Dion. C’est directement lié au manque de valorisation des éducatrices, des intervenantes en petite enfance, qui sont en négociation d’ailleurs présentement et qui n’ont pas de convention collective depuis plus d’un an.»
La logique que les membres de Ma place au travail mettent en avant est simple: revaloriser le travail des éducatrices afin de retenir celles déjà présentes dans le réseau et en attirer de nouvelles, et ainsi créer de nouvelles places en garderie pour les enfants en bas âge.
Des places, oui, mais de qualité
«Selon le Grand chantier pour les familles, on a besoin d’embaucher 17 000 nouvelles éducatrices d’ici 2025/2026 pour réussir à compléter le réseau, fait valoir Mme Dion. Et quand on voit le nombre d’inscriptions à la Technique d’éducation à l’enfance, ça fait peur, parce que le nombre est extrêmement bas.»
Au 31 mars 2024, le ministère de la Famille affirmait pourtant dans le tableau de bord du Grand chantier avoir ajouté au réseau 1801 places subventionnées dans le mois pour 28 831 enfants en attente.
«Notre ambition est de pouvoir offrir une place à contribution réduite à chaque enfant», écrivait la ministre de la Famille, Nathalie Roy, dans le Plan stratégique 2023-2027 de son ministère, soumis au début de l’été dernier. «Le développement du réseau se poursuit et s’accélère pour répondre aux besoins des familles. Les places non subventionnées se transforment graduellement en places subventionnées, et nous mettrons tout en œuvre pour bénéficier d’une main-d’œuvre disponible et qualifiée.»
Cependant un autre son de cloches a résonné aux oreilles de Marylin Dion et des organismes parentaux, bien moins mélodieux. «La Vérificatrice générale (VG) du Québec a lancé un rapport sur la qualité éducative dans lequel on apprenait que le tiers des garderies échouait au test de qualité», s’inquiète Marylin Dion. Pas moins de 41 % des centres de la petite enfance (CPE) et des garderies ayant été évalués par la VG en 2022-2023 échouent à offrir des services éducatifs de qualité selon le rapport dévoilé en mai.
La VG du Québec, Guylaine Leclerc, pointe dans son rapport «des attitudes ou à des pratiques inappropriées» et précise que les actions correctives mises en place par le ministère sont insuffisantes. Elle voit dans les taux d’échec un lien direct avec le manque d’éducatrices qualifiées.
Une carence qui pèse sur les femmes
Le combat mené lors du sit-in n’est pas seulement un combat pour les familles, mais aussi pour les femmes, car c’est le plus souvent la mère qui assume le poids de s’occuper des enfants au lieu de travailler quand il n’y a pas possibilité de les placer en garderie.
«C’est un enjeu profondément féministe», souligne Mme Dion. Elle rappelle que, malheureusement, il existe encore une différence salariale entre hommes et femmes et que, dans un couple hétérosexuel, bien souvent, le père est celui qui a le meilleur salaire. La décision s’impose donc d’elle-même, d’une certaine façon, explique-t-elle.
«Il faut que les parents finissent par y arriver aussi financièrement. Parce qu’on s’entend qu’être privé d’un salaire, de 50% du revenu familial, c’est énorme.»
L’une des solutions à court terme que propose Ma place au travail est un dédommagement à hauteur du stress financier que représente le fait de n’avoir plus qu’un seul salaire pour les familles qui n’ont pu obtenir une place en garderie. L’OBNL suggère également la création de milieux communautaires avec deux éducatrices travailleuses autonomes qui loueraient un local où accueillir les enfants.
Ma place au travail a été rejoint dimanche par les syndicats représentant les éducatrices de la petite enfance, qui sont en négociations pour le renouvellement de leurs contrats de travail, par des représentants du Parti québécois et de Québec solidaire, l’organisme Mères au front ainsi que des organismes pour migrants et réfugiés, qui souffrent également des déficits du réseau.
Marylin Dion met de l’avant que les nouveaux arrivants sont eux victimes du manque de place, mais qu’ils peuvent aussi faire partie de la solution. Ces migrants représentent une main-d’œuvre qui pourrait être formée à la Technique d’éducation à l’enfance. «Si on veut bien accueillir les, on veut qu’il y ait une francisation qui soit faite, on veut qu’ils puissent accéder au marché du travail. (…) Mais quand ils arrivent, on ne leur donne pas les bonnes chances de s’intégrer», raconte Mme Dion.
Elle ajoute que «toutes ces dizaines de milliers, ces centaines de milliers de dollars qui sont investis par le gouvernement pour faire cette lutte judiciaire contre les demandeurs d’asile pourraient l’être dans notre réseau de la petite enfance. Donc pour nous, c’est un choix complètement incompréhensible et vraiment décevant de la part du gouvernement.»
Le ministère de la Famille n’a pas immédiatement donné suite à nos demandes de commentaires.