Les parents de Koray Kevin Celik s’adressent de nouveau au ministre Jolin-Barrette

MONTRÉAL — La famille d’un Montréalais mort lors d’une intervention policière en 2017 demande au ministre québécois de la Justice d’ordonner un nouvel examen, indépendant, de la preuve dans cette affaire et une révision de la décision de la Couronne de ne pas porter d’accusations contre les policiers impliqués.

Cependant, plus tard dans la journée, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a semblé rejeter la demande de la famille pour la deuxième fois depuis 2023.

Les parents de Koray Kevin Celik ont présenté cette demande lundi en conférence de presse, accompagnés de leurs avocats et de représentants de la Ligue des droits et libertés et de la Coalition contre la répression et les abus policiers.

La conférence de presse a été convoquée à la veille du début des audiences du Tribunal administratif de déontologie policière, à Montréal, pour les policiers impliqués dans cette intervention fatale.

François Mainguy, avocat des parents de M. Celik, a déclaré lundi que ses clients souhaitaient que le gouvernement québécois mette en place «un comité indépendant» pour réexaminer les preuves dans cette affaire et reconsidérer la possibilité de porter des accusations criminelles contre les policiers.

Les parents de M. Celik — June Tyler et Cesur Celik — avaient déjà demandé au ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, de rouvrir le dossier. En 2023, le ministre avait refusé d’intervenir et avait renvoyé l’affaire aux procureurs, qui ont refusé de réexaminer la preuve.

Le bureau de M. Jolin-Barrette a transmis lundi les demandes de commentaires au Directeur des poursuites criminelles et pénales. Une porte-parole du DPCP a ensuite écrit que les procureurs avaient déjà examiné en profondeur le dossier, y compris les conclusions du coroner rendues publiques l’année dernière.

«L’examen du rapport d’enquête préparé par le BEI (Bureau des enquêtes indépendantes) en lien avec l’événement entourant le décès de M. Celik a été confié à un comité composé de trois procureurs. Ces derniers ont procédé à un examen complet et objectif de la preuve afin d’évaluer si celle-ci révèle la commission d’infractions criminelles», a écrit Me Annabelle Sheppard dans un courriel.

«À la lumière de la preuve analysée et des principes juridiques applicables, le comité a conclu qu’aucune poursuite ne serait intentée.»

Me Sheppard ajoute que le DPCP a assisté à l’enquête publique du coroner et a pris connaissance de l’ensemble de la preuve présentée alors. «Il appert que celle-ci n’a pas mis en relief des faits nouveaux susceptibles de modifier l’analyse ayant été faite par le comité de trois procureurs et de remettre en question la décision de ne pas porter d’accusations criminelles», souligne la porte-parole du DPCP.

Un homme en crise

Le 6 mars 2017, les parents de M. Celik avaient appelé la police à leur résidence de L’Île-Bizard, dans l’ouest de Montréal, parce qu’ils craignaient que leur garçon conduise avec les facultés affaiblies. M. Celik, âgé de 28 ans, avait consommé des analgésiques prescrits par son dentiste et avait bu de l’alcool pendant la soirée.

Cesur Celik a déclaré aux journalistes lundi que son fils, étudiant en médecine, était en crise ce jour-là et qu’il avait voulu quitter la maison pour aller chercher des somnifères pour dormir un peu avant un examen le lendemain.

À l’arrivée des policiers, M. Celik, qui n’était pas armé, se trouvait dans sa chambre et il s’était calmé. Une policière est immédiatement entrée dans la pièce, ce qui a donné lieu à une confrontation verbale. Quatre policiers ont tenté de maîtriser M. Celik par la force. Ses parents disent avoir vu des policiers frapper leur fils à plusieurs reprises avec leurs pieds et leurs genoux avant qu’il cesse de respirer et soit en arrêt cardiorespiratoire.

M. Celik a été déclaré mort plus tard à l’hôpital.

En avril 2019, la Couronne a refusé de porter des accusations contre les policiers, en se fondant sur un rapport du BEI.

Utilisation «provoquée» de la force

Quatre ans plus tard, en avril 2023, un rapport du coroner sur la mort de M. Celik a conclu que les policiers avaient, dans leur intervention, «provoqué» l’utilisation de la force et qu’ils n’étaient pas bien préparés lorsqu’ils se sont présentés à la résidence.

«Si l’intervention avait été un tant soit peu planifiée, en prenant le temps d’obtenir tous les renseignements pertinents, l’issue aurait pu être tout autre», a écrit le coroner Luc Malouin dans son rapport.

Les quatre policiers qui sont intervenus ont témoigné lors de l’enquête du coroner qu’ils avaient craint pour leur vie pendant cette intervention.

La famille continue de dénoncer l’enquête du BEI et la décision des procureurs de ne pas porter d’accusations. La Cour du Québec s’est rangée en faveur de la famille, en juin 2021, affirmant que le BEI avait commis une erreur en publiant un communiqué qui ne donnait que la version des policiers. La Cour soulignait que le communiqué n’était ni neutre ni impartial, et que le rôle du BEI n’était pas de justifier les gestes de la police, mais de mener une enquête indépendante.

Cette décision a ensuite été confirmée par la Cour d’appel, en décembre dernier.

Des témoins oculaires ignorés

Dans une lettre adressée au ministre Jolin-Barrette, les parents de M. Celik affirment que la Cour d’appel a clairement indiqué que le BEI avait empêché les procureurs de jouer correctement leur rôle en déterminant si des accusations criminelles devaient être portées. «C’est pourquoi il est essentiel que les preuves relatives à la mort de Koray soient réexaminées par des procureurs indépendants.»

La lettre indique que l’enquête du BEI n’avait pas accepté la version des faits des parents de M. Celik, qui ont pourtant été des témoins oculaires de ce qui s’était passé cette nuit-là. «Cela fait plus de sept ans que nous persévérons et nous ne nous arrêterons pas là, je vous le promets», a déclaré Cesur Celik.

Me Mainguy a plaidé lundi qu’il existait un précédent pour le réexamen de cas dans lesquels des policiers ne sont pas accusés. En février 2014, Nicholas Thorne-Belance, âgé de 5 ans, se trouvait dans un véhicule qui a été heurté par une voiture de police banalisée. Le garçon est mort à l’hôpital quelques jours plus tard.

Les procureurs avaient d’abord décidé de ne pas porter d’accusation contre le policier de la Sûreté du Québec qui conduisait, mais de nouveaux témoignages ont amené la ministre libérale de la Justice de l’époque, Stéphanie Vallée, à demander un réexamen indépendant de la preuve. Le policier Patrick Ouellet a finalement été accusé de conduite dangereuse ayant causé la mort et il a été reconnu coupable en 2018.

Les Celik poursuivent également la Ville de Montréal et le service ambulancier Urgences-santé dans une cause civile qui suit toujours son cours devant les tribunaux.