Ottawa ne veut pas définir ce que signifiera le «droit à un environnement sain»
OTTAWA — Plus de cinq ans après s’être fait dire qu’il devait inscrire le droit à un environnement sain dans sa loi sur la protection de l’environnement, le gouvernement fédéral s’apprête à le faire.
Il tente de faire enchâsser dans la loi le droit pour tous les Canadiens à un environnement sain, mais se donne encore deux ans pour définir ce que cette disposition signifie en pratique.
La modification à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement fait partie des 87 recommandations formulées au gouvernement il y a cinq ans, en 2017, lorsque le Comité permanent de l’environnement et du développement durable des Communes a terminé son examen quinquennal de cette importante loi.
Le comité recommandait alors, notamment, que le préambule de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement soit modifié afin de «reconnaître le droit à un environnement sain».
En 2018, la ministre de l’Environnement de l’époque, Catherine McKenna, a déclaré que le gouvernement allait attendre après les élections de 2019 pour présenter le projet de loi et passerait les mois intermédiaires à se concerter sur la meilleure façon de procéder.
Il a fallu au gouvernement jusqu’en avril 2021 pour déposer les modifications, mais ce projet de loi est mort au feuilleton, avant tout débat, lorsque les élections générales anticipées ont été déclenchées en août dernier. Un nouveau projet de loi a depuis été déposé au Sénat, en février.
La Loi canadienne sur la protection de l’environnement (LCPE) est la loi qui précise quels produits chimiques peuvent et ne peuvent pas être utilisés au Canada et la façon dont ceux qui peuvent être toxiques doivent être utilisés et éliminés.
C’est la loi qui est censée protéger les gens de choses comme l’amiante, le mercure et le plomb. C’est ce qui a permis au Canada d’interdire le bisphénol A dans les biberons en 2010 et qui a contribué à réduire les émissions de mercure dans l’air et dans l’eau de plus de 60 % depuis 2007.
Plus récemment, le gouvernement a ajouté les déchets plastiques à la liste des substances toxiques, défendant qu’ils présentent un risque pour la santé humaine et animale, ce qui permet à Ottawa de bannir certains types de plastiques à usage unique comme les pailles, les couverts et les contenants à emporter.
La LCPE est également censée donner des conseils aux entreprises fabriquant divers produits chimiques pour savoir comment ils seront évalués et approuvés pour utilisation.
Le nouveau projet de loi met à jour la façon dont ces substances toxiques sont évaluées, y compris l’obligation de rechercher des alternatives plus sécuritaires, des données sur les effets cumulatifs si elles sont combinées avec d’autres substances et si elles peuvent causer le cancer à long terme.
Le nouveau projet de loi ajoute également une phrase garantissant que chaque Canadien a le «droit» à un environnement sain et oblige le gouvernement à protéger ce droit.
«C’est la première fois que ce droit est inscrit dans une loi fédérale au Canada», a déclaré jeudi le ministre de l’Environnement, Steven Guilbeault, devant le comité sénatorial de l’environnement.
Le projet de loi stipule que le gouvernement aura jusqu’à deux ans après l’entrée en vigueur de la modification pour préciser la façon dont ce «droit à un environnement sain» sera considéré dans l’exécution de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.
M. Guilbeault a déclaré que cela guidera la manière dont le droit à un environnement sain sera pris en compte lors de l’application de la LCPE, y compris le principe de justice environnementale, qui traite de l’exposition injuste à des substances nocives, souvent par des communautés marginalisées.
Le sénateur du Nunavut Dennis Patterson trouve insensé d’enchâsser un droit dans une loi sans préciser ce que cela signifie concrètement.
«Ne devrions-nous pas comprendre ce que ce droit conférerait aux Canadiens et comment l’appliquer, a questionné M. Patterson. Sinon, je crois que nous amenons inutilement de l’incertitude dans chaque processus qui repose sur la LCPE pour plus de clarté et de certitude.»
Mais le ministre Guilbeault soutient que tout législateur sait qu’il est impossible de définir un élément juridique dans la loi tant que cet élément n’existe pas.
L’avocat environnemental canadien David Boyd, rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme et l’environnement, a déclaré que plus de 100 pays ont déjà un droit légal à un environnement sain et assure que ce n’est pas compliqué à définir.
«Cela signifie que les gens ont le droit de respirer de l’air pur, qu’ils ont droit à un approvisionnement suffisant en eau potable, à des aliments sains et produits de manière durable, à des écosystèmes et une biodiversité sains, et à des environnements non toxiques où les gens peuvent vivre, travailler, étudier et jouer, et un climat sûr.»
M. Boyd a déclaré que cela devrait également signifier que les gens peuvent avoir accès à des informations sur leur environnement, participer au processus de prise de décisions concernant leur environnement et avoir un recours légal s’ils estiment que ce droit est menacé ou violé.
L’avocat a indiqué que la loi serait beaucoup plus forte si elle énonçait les recours dont les gens disposent s’ils estiment que le gouvernement ne respecte pas son devoir de protéger leur droit à un environnement sain.
Son souhait est que le Canada fasse comme la plupart des autres pays et en fasse un droit constitutionnel, bien qu’il reconnaisse que c’est en soi une boîte de Pandore toxique.
M. Guilbeault a déclaré que le gouvernement n’avait pas l’intention d’ouvrir cette boîte pour cela.