Dépression: un premier patient au Québec sera traité par la psilocybine
MONTRÉAL — Une clinique pionnière dans le domaine émergent de la psychothérapie assistée par les psychédéliques est sur le point de devenir le premier établissement de santé au Québec à traiter légalement la dépression avec de la psilocybine, le composé hallucinogène présent dans certains champignons.
Pour le Dr Andrew Bui-Nguyen, de la clinique Mindspace by Numinus, «c’est un privilège de pouvoir accompagner les gens dans l’exploration de leur détresse psychologique et d’offrir quelque chose de différent des traitements conventionnels comme les antidépresseurs».
M. Bui-Nguyen a déclaré que sa clinique avait reçu l’approbation de Santé Canada le 5 mai pour soigner un patient qui avait subi plusieurs traitements infructueux contre la dépression.
Il a ajouté que la procédure de sélection des patients est rigoureuse et que le régime d’assurance maladie du Québec ne couvre pas le traitement.
«On regarde le diagnostic, les antécédents médicaux, s’il y a un risque d’addiction, quels traitements ont déjà été essayés (…) Plusieurs traitements doivent avoir été faits en amont, donc l’application est solide.»
Le 5 janvier, Santé Canada a rétabli son «Programme d’accès spécial» — aboli sous l’ancien premier ministre Stephen Harper en 2013 — permettant aux experts en soins de santé de demander l’accès à des médicaments restreints dont la vente n’a pas encore été autorisée dans le pays.
Avant janvier, les gens ne pouvaient accéder à la psychothérapie assistée par des psychédéliques que par le biais d’essais cliniques ou d’exemptions médicales. Désormais, les experts agréés peuvent déposer des demandes au nom de patients souffrant de troubles mentaux tels que le trouble de stress post-traumatique, la dépression et l’anxiété, mais pour lesquels les traitements conventionnels ont échoué.
Santé Canada affirme avoir reçu 15 demandes d’utilisation de psilocybine ou de MDMA — une drogue psychédélique aux propriétés stimulantes — depuis la reprise du programme.
En avril, une clinique appelée Roots To Thrive, à Nanaimo, en Colombie-Britannique, est devenue le premier centre de santé au Canada à offrir un programme légal de thérapie de groupe à la psilocybine.
Thomas Hartle fait partie de ceux qui y ont participé.
Il raconte que lorsqu’il se livre à une séance de traitement à la psilocybine, l’anxiété de fin de vie, les distractions et les bruits associés à son cancer du côlon en phase terminale disparaissent.
«Avant le traitement, c’est comme si vous étiez assis dans votre voiture. C’est l’été. Vous avez les fenêtres baissées, vous êtes coincé dans la circulation aux heures de pointe, c’est bruyant (…) C’est désagréable», a raconté le résidant de la Saskatchewan.
«Votre chanson préférée est à la radio, mais vous ne pouvez pas vraiment l’apprécier, car toutes les autres distractions vous empêchent même de remarquer que la radio est allumée. Après un traitement à la psilocybine, (c’est comme si) vous étiez toujours dans votre voiture, dans la circulation, mais vous avez les fenêtres ouvertes, la climatisation est allumée et c’est silencieux. Il n’y a que vous et la musique.»
«La partie thérapie a un T majuscule dans tout ce processus», a déclaré M. Hartle. «Il ne s’agit pas seulement de prendre des psychédéliques. C’est juste un outil dans le processus; la thérapie est cruciale pour obtenir un bon résultat.»
Le Dr Bui-Nguyen a expliqué que le traitement assisté par psychédélique nécessite plusieurs séances de thérapie avant que les patients expérimentent la drogue, puis d’autres par la suite. Les patients consommeront de la psilocybine sous la supervision de deux psychothérapeutes et resteront dans l’environnement sécurisé de la clinique jusqu’à six heures.
«Ce n’est pas miraculeux», a déclaré le Dr Bui-Nguyen. «Tu ne prends pas de psilocybine et c’est tout, un voyage psychédélique et après la dépression est guérie — non ! Le patient a beaucoup de travail à faire. Mais ça ouvre des perspectives; ça crée de nouvelles voies dans le cerveau que nous ne sommes pas habitués à prendre. Le patient explore alors de nouvelles voies pour sortir de la dépression.»
Dans la plus grande étude au monde sur l’effet des psychédéliques sur le cerveau, publiée en mars dans la revue «Science Advances», l’auteur principal Danilo Bzdok a déclaré que les drogues psychédéliques pourraient bien être la prochaine grande chose qui améliorera le traitement clinique des principaux problèmes de santé mentale.
«Il y a quelque chose comme une renaissance, un réveil des psychédéliques», a déclaré M. Bzdok, professeur agrégé au département de génie biomédical de l’Université McGill, dans une récente entrevue.
Il a dit que les avantages fondés sur des preuves sont très prometteurs. Les patients, a-t-il dit, disent avoir ressenti jusqu’à six mois d’effets durables après une seule séance de thérapie assistée par psychédélique. Ils ont également connu une réduction des symptômes associés aux problèmes de santé mentale, a indiqué M. Bzdok, ajoutant qu’il y avait moins d’effets secondaires comparativement aux antidépresseurs.
Le PDG de Mindspace by Numinus, Payton Nyquvest, a déclaré que les psychédéliques ont le potentiel de devenir un traitement répandu. Alors que Santé Canada continue d’approuver davantage de demandes, il espère que la reconnaissance rendra le traitement beaucoup plus accessible.
«Nous n’avons pas vu d’innovation significative dans les soins de santé mentale depuis probablement plus de 40 ans», a déclaré M. Nyquvest dans une récente entrevue.
«Nous sommes à une époque où de nouveaux et meilleurs traitements pour la santé mentale sont plus que jamais nécessaires. Peu importe ce que vous regardez, la dépression, l’anxiété et la suicidabilité (…) ce sont tous des taux qui continuent d’augmenter sans qu’il n’y ait de directives claires sur la façon dont nous allons résoudre ces énormes problèmes de société. Les psychédéliques représentent une occasion d’avoir un impact significatif.»
La propre expérience de M. Hartle a fait écho à ces espoirs. «L’amélioration de ma santé mentale, c’est tellement le jour et la nuit qu’il serait difficile de dire tout ce que cela fait pour moi», a-t-il déclaré.
«J’ai toujours un cancer. J’ai toujours des difficultés avec ce qu’il me fait physiquement, mais il y a des jours où je n’y pense même pas. Que feriez-vous pour avoir une journée où vous vous sentez tout simplement normal?»
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Cet article a été produit avec le soutien financier des Bourses Meta et La Presse Canadienne pour les nouvelles.