Le président du CRTC admet qu’il pourrait réglementer les vidéos maison en ligne
OTTAWA — Le président du CRTC admet que le projet de loi fédéral actuellement à l’étude au Parlement lui donnerait le pouvoir de réglementer les vidéos maison diffusées sur des plateformes numériques comme YouTube.
Mais Ian Scott prédit que ce contrôle ne se produira jamais, car le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes n’a aucun intérêt à superviser ce contenu en ligne.
Les détracteurs du projet de loi fédéral sur la diffusion en ligne se sont rapidement emparés des propos de M. Scott, qui contredisent, selon eux, les assurances données jusqu’ici par le ministre du Patrimoine.
Pablo Rodriguez a toujours maintenu que le projet de loi ne donnerait pas au CRTC le pouvoir de réglementer le contenu généré par les utilisateurs comme les «vidéos de chats».
Lors d’une réunion du Comité permanent du patrimoine canadien sur l’étude des crédits, mercredi soir à Ottawa, M. Scott a admis, en réponse aux questions d’un député conservateur, que dans sa forme actuelle, le projet de loi du gouvernement libéral permettrait effectivement au CRTC de réglementer, au besoin, le contenu généré par des utilisateurs.
Le projet de loi C-11, actuellement à l’étude au Parlement, donnerait au CRTC le pouvoir de réglementer non seulement les diffuseurs traditionnels, mais aussi les plateformes en ligne comme YouTube, Netflix et Spotify. Il obligerait les plateformes numériques à promouvoir le contenu canadien, y compris les films, les vidéoclips et les émissions de télévision, et à contribuer financièrement à leur création.
Scott Benzie, directeur général de Digital First Canada, a soutenu que le président du CRTC venait de confirmer ce que les créateurs du numérique avaient dit depuis la publication du projet de loi. Ceux-ci prévenaient que le régulateur aurait un pouvoir d’intervention sur leur travail, y compris les publications de comédiens, d’animateurs et de joueurs sur des plateformes comme YouTube, TikTok, Snapchat et Twitch.
M. Benzie a accusé le gouvernement fédéral d’être trompeur en affirmant que le projet de loi ne toucherait pas le contenu généré par les utilisateurs.
«C’est bien de voir que la vérité est enfin sur la table, a dit M. Benzie. Le projet de loi englobe tout. Une fois que le CRTC a ces pouvoirs, il est vraiment difficile de revenir en arrière.»
M. Rodriguez a déclaré dans un communiqué qu’avec le projet de loi C-11, «nous demandons aux sociétés de diffusion en ligne qui bénéficient de la culture canadienne d’y contribuer. Les Canadiens et leur contenu sont exclus. Point final.»
Le ministre a ajouté que les décisions du CRTC sont «transparentes et ouvertes à la participation du public».
«Comparez cela avec les 26 millions de vidéos supprimées l’année dernière par YouTube avec un minimum de surveillance et de transparence— et aucune responsabilité publique», a déclaré le ministre.
Mercredi, devant le comité des Communes, le président du CRTC a déclaré qu’il devrait y avoir un degré de confiance plus élevé en ce qui concerne les actions futures de l’organisation, expliquant qu’en 50 ans de réglementation de la radiodiffusion, le CRTC n’avait «jamais interféré avec le contenu individuel».
Le mandat de cinq ans de M. Scott à la présidence se termine en septembre et le gouvernement fédéral accepte déjà les candidatures pour son poste, avec un salaire pouvant atteindre 328 000 $ par an. L’offre d’emploi recherche une expérience dans les médias numériques, la radiodiffusion ou les télécommunications.
Le CRTC a été critiqué pour son manque d’expertise pour réglementer la sphère numérique, une affirmation que M. Scott, interrogé à ce sujet au comité, a contestée avec véhémence.
L’intention du projet de loi
L’organisme de réglementation a déclaré dans un communiqué après la comparution de M. Scott que «tel qu’il est rédigé pour le moment, le projet de loi établit une distinction entre les utilisateurs des médias sociaux et les plateformes elles-mêmes. Il est clair pour le CRTC que l’intention du projet de loi est d’exclure les utilisateurs individuels de la réglementation.»
Le CRTC a ajouté que «le contenu lui-même peut faire l’objet d’une certaine surveillance réglementaire, mais seulement dans certaines circonstances limitées», par exemple s’il génère des revenus, est disponible sur d’autres plateformes comme la télévision et est catégorisé par un identifiant unique attribué à l’échelle internationale.
Le communiqué affirme que si le CRTC choisissait de mettre en place des règlements, ils devraient être conçus pour atteindre les objectifs de la politique de la Loi sur la radiodiffusion.
YouTube a averti lors d’un sommet national sur la culture plus tôt ce mois-ci que le projet de loi, tel qu’il était formulé, donnerait au CRTC la possibilité de surveiller les vidéos quotidiennes publiées pour que d’autres utilisateurs puissent les regarder.
Le projet de loi sur le «streaming» contient une clause excluant du règlement les vidéos téléchargées par un utilisateur pour que d’autres utilisateurs puissent les regarder.
Viennent ensuite des clauses de qualification stipulant que le CRTC peut établir des réglementations relatives aux «programmes», qui, selon YouTube, donneraient au régulateur le pouvoir discrétionnaire et la possibilité de superviser un large éventail de contenus numériques, y compris les vidéos personnelles.
Jeanette Patell de YouTube Canada a déclaré dans un communiqué : «Nous avons entendu du gouvernement qu’il n’avait pas l’intention de réglementer le contenu généré par les utilisateurs (CGU), mais le président du CRTC a confirmé que le CGU reste toujours dans le texte du projet de loi.»
«Notre simple demande est qu’ils résolvent cette incohérence et incluent un libellé spécifique dans le projet de loi pour exclure le CGU de la réglementation du CRTC, afin de protéger des milliers de créateurs canadiens qui gagnent leur vie sur les plateformes numériques.»
YouTube a indiqué que le nombre de créateurs de contenu canadiens gagnant plus de 100 000 $ par année sur sa plateforme augmente chaque année.
Michael Geist, professeur titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit de l’internet et du commerce électronique à l’Université d’Ottawa, estime aussi que le contenu généré par les utilisateurs n’est pas exclu du projet de loi.
«Les remarques de M. Scott confirment ce qui était tout à fait évident pour quiconque a pris le temps de lire le projet de loi», a dit M. Geist.
«La porte est grande ouverte pour que le CRTC établisse des règlements sur le contenu des utilisateurs, y compris des règles de découvrabilité qui pourraient nuire aux créateurs numériques canadiens. Il y a de bonnes raisons pour lesquelles aucun autre pays au monde ne réglemente le contenu des utilisateurs de cette façon», a-t-il soutenu.