Après l’horreur, la double victoire Sonia Swett
JUSTICE. Lorsque Sonia Swett est montée sur la scène du gala des Omer en mars dernier pour cueillir un prix décerné à sa compagnie (ClientWeb), elle avait une double raison de lever le poing au ciel.
La veille, au Palais de justice de Granby, son père Martin Swett avait été condamné à 10 ans de pénitencier pour de multiples agressions sexuelles commises sur sa fille, des actes étalés sur une décennie complète.
Cette condamnation venait aussi mettre un terme à un processus judiciaire entamé trois ans plus tôt par la mère de famille et femme d’affaires. «Les émotions étaient très fortes. La sentence de mon père était une grande victoire pour moi, et j’étais également récompensée sur le plan professionnel. Ce fut vraiment une belle soirée», confie-t-elle avec fierté.
Armée de son sourire éclatant, de son énergie contagieuse et de son charisme, Sonia Swett multiplie les entrevues et les conférences depuis quelques mois, afin de faire connaître son histoire, et surtout «briser le silence».
Ce silence, elle l’a elle-même gardé durant tout le temps qu’ont duré les agressions et manœuvres contrôlantes de son père, de 10 à 20 ans, et ensuite jusqu’à l’âge de 31 ans. «Je me suis confiée à un de mes frères pour la première fois en 2011, parce que je craignais que des jeunes filles de mon entourage ne subissent la même chose que moi. Quand on a un doute, il ne faut jamais hésiter à signaler si l’on croit que quelqu’un est victime d’abus», lance celle qui habite maintenant à Sainte-Catherine-de-Hatley.
Une famille divisée
Même si l’annonce crée une onde de choc dans son entourage, Mme Swett va de l’avant et entame un processus judiciaire en 2014. Des proches lui tournent alors le dos. «Il y a des gens du côté de mon père qui ont pris son parti et qui ont décidé de ne plus me parler; pour eux, je ne fais plus partie de la famille. En contrepartie, j’ai reçu un support exceptionnel de plusieurs autres parents, de ma belle-famille, et surtout, de mon conjoint Kevin. Tout au long des démarches, il y avait toujours de nombreuses personnes pour me soutenir», se rappelle-t-elle avec gratitude.
Mettant à profit son sens de l’organisation, Sonia Swett est passablement bien préparée lorsqu’elle décide de porter plainte aux policiers. «J’avais rassemblé plusieurs preuves et témoignages. J’avais notamment retrouvé l’un de mes bulletins du primaire où il était indiqué que, sur 180 journées de classe, j’avais plus d’une centaine d’absences. Dans son témoignage, mon père disait qu’il voulait me protéger contre l’intimidation subie à l’école et c’est ce qui expliquait mes nombreuses absences».
Même si toutes les preuves étaient contre lui, il n’a jamais reconnu ses torts. C’est ce que je trouve le plus regrettable dans tout ça», laisse-t-elle entendre.
Elle respectait «l’autorité»
Agressions sexuelles quotidiennes, menaces, jalousie maladive et restrictions de toutes sortes, le mot cauchemar apparaît comme un euphémisme lorsqu’il est question de l’enfance et de l’adolescence de Sonia Swett.
Dès l’âge de 10 ans, la jeune fille subit les assauts répétés de son père, à l’intérieur même de son domicile, dès que sa mère a le dos tourné. «Durant les premières années, ça se déroulait tous les jours. Et peu à peu, mon père est devenu extrêmement jaloux et contrôlant. Il empêchait tous les hommes de venir à la maison, et il m’a même séparé de mon frère plus âgé. S’il apercevait que nous nous étions parlé ou simplement regardé, mon frère se faisait battre immédiatement», raconte-t-elle froidement.
«Il m’empêchait aussi d’aller aux cours d’éducation physique, parce que le professeur était un homme».
Malgré sa souffrance, la jeune Sonia n’a jamais réussi à parler de sa situation à une autre personne de confiance. «J’étais tellement isolée des autres. En plus, on m’avait élevée à respecter l’autorité. Et même si je savais que ses actions étaient malsaines, mon père était pour moi la principale figure d’autorité».
En dépit d’un entourage malsain et d’un parcours académique difficile (elle a doublé une année scolaire à deux reprises), la jeune femme originaire de Waterloo prend de plus en plus confiance en ses moyens lors de son passage au secondaire. «Mon père ne voulait pas que je porte des habits trop moulants ou révélateurs, pour éviter d’attirer les regards. Mais comme j’avais appris à coudre, je confectionnais moi-même mes vêtements et je les portais en cachette, à l’école. Je m’étais même fait un copain à l’âge de 16 ans, mais il a fallu que je le quitte, car mon père menaçait de le tuer».
Aider les criminels
Après avoir fait une tentative de suicide durant cette période, l’adolescente a repris du poil de la bête et a même fait des études collégiales et universitaires, entre autres en criminologie.
Avant de lancer son entreprise magogoise qui se spécialise dans la conception de sites web, la femme de 38 ans a travaillé pendant une douzaine d’années dans le milieu carcéral, dans les centres pour jeunes et dans des maisons de transition. «J’ignore si c’est en raison de mon vécu, mais j’ai toujours voulu aider ceux qui avaient des problèmes de criminalité, de toxicomanie ou autre», indique-t-elle.
Si son récit se veut aussi troublant qu’inconcevable, il apparaît de plus en plus évident que Sonia Swett n’a pas été la seule à subir pareil traitement durant sa jeunesse.
Dans son travail ou comme conférencière, il est arrivé maintes fois qu’on lui fasse des confidences. «À plusieurs reprises, des femmes, des jeunes, et même des hommes, m’ont dit qu’ils avaient vécu sensiblement la même chose que moi, mais qu’ils avaient choisi de ne rien dire. Je respecte leur décision, mais je persiste à croire qu’il faut briser le silence pour éviter qu’un agresseur ne fasse plusieurs victimes», soutient-elle.
«Ma démarche actuelle vise autant les personnes agressées que celles qui sont susceptibles de commettre des agressions. Si vous éprouvez une envie de poser des gestes à caractère sexuel sur vos propres enfants ou d’autres jeunes, n’hésitez à pas à consulter et à trouver les ressources appropriées. J’ai beaucoup de respect pour les gens qui vont chercher de l’aide avant de passer à l’acte», conclut-elle avec empathie.