Il y a 50 ans à La Ruche : une rentrée bourdonnante

Il est difficile de se représenter les  » rentrées scolaires  » du début du XIXe siècle, alors que seulement une poignée d’enfants se rendaient en classe à la maison Merry ou à la Little Red Schoolhouse, sur la rue Principale. 

La poussée démographique de Magog amènera éventuellement l’érection de structures importantes, comme la Magog Academy en 1856, sur le site de la future école Brassard, ou le Collège Saint-Patrice, en 1885. Un autre jalon est la construction du couvent Sainte-Marguerite en 1928, obtenue de haute lutte pour les enfants de cette paroisse. Et il y en a eu bien d’autres.   

C’est le cas de l’ouverture de la polyvalente La Ruche il y a 50 ans, en 1974. On tend à l’oublier aujourd’hui, mais c’est plus qu’un bâtiment, aussi imposant soit-il, qui voit le jour sur le tout nouveau boulevard des Étudiants : c’est le reflet d’une longue évolution sociale qui trouve son aboutissement. 

La Ruche à ses premières années, en 1974. (Collection Maurice Langlois)

Le Québec des années 1960 et 1970 est une société jeune. Très jeune. En 1974, l’âge moyen est de 31 ans et l’âge médian de 27 ans, ce qui signifie qu’autant de gens ont un âge inférieur ou supérieur à 27 ans. En 2023, la moyenne québécoise est de 42 ans dans les deux cas.

Le baby-boom, que l’on situe au Canada entre la fin des années 1940 et le milieu des années 1960, explique ce phénomène. Combiné en 1961 à la décision des libéraux de Jean Lesage de rendre l’école obligatoire jusqu’à 15 ans (portée à 16 ans en 1988), il crée une pression énorme sur les écoles en place à Magog, soit les collèges Sainte-Marguerite-Marie (1er et 2e secondaire) et Saint-Patrice (3e à 5e secondaire).  

Nés entre 1956 et 1961, car à l’époque la plupart ont fait une 7e année, les membres de la cohorte originale de La Ruche, en 1974, incarnent le vent de jeunesse qui souffle sur le Québec. Pour les guider, on mise sur des enseignants de carrière, mais aussi sur plusieurs professeurs fraîchement diplômés des universités. Signe des temps, même la direction est jeune, ses quatre membres – Ernest Bélanger, Bernard Francoeur, Onil Boilard, Jean-Louis Caplette – ayant autour de 30 ans.

L’objectif derrière la création de cette polyvalente, conjuguant formation générale et professionnelle, s’inscrit en ligne droite avec les visées des révolutionnaires tranquilles des années 1960 : faire de l’éducation un tremplin permettant aux francophones de réaliser leur plein potentiel afin de favoriser leur rattrapage dans une foule de domaines, tant académique, que professionnel ou économique.  

La Ruche incarne cet espoir pour la génération montante. Le 20 octobre 1974, lors d’une journée  » portes ouvertes  » (le bâtiment en compte près de 400!), la population est à même d’apprécier son envergure. La stature de l’école, le nombre de locaux, les équipements, la diversité des services offerts : c’est du jamais-vu dans notre ville. Certains parents se demandent même comment les étudiants pourront se retrouver dans ce dédale où ils croisent 34 classes régulières, une place publique, une piscine, des gymnases, une pastorale, un atelier de menuiserie, de couture, des équipements pour la formation en secrétariat, une radio-étudiante, etc. 

Bien des parents sortent de ce tour d’horizon ébahis, certains ravis, même envieux des possibilités s’offrant à leurs ados et dont ils auraient aimé profiter.  

Rentrée des étudiants à La Ruche. (Fonds La Ruche, à la Société d’histoire de Magog)

S’ajoutent certaines inquiétudes : la crainte que tout cela soit trop grand, impersonnel. Avec en toile de fond des problèmes  » modernes  » comme la relation changeante des jeunes avec l’autorité (rien de nouveau sous le soleil!), la consommation de drogues, etc.

L’automne 1974 reste un moment unique dans notre histoire. En regardant ces 1621 étudiants du secondaire 2 à 5 prendre le chemin de l’école à ce moment, le secondaire 1 demeurant au Collège Sainte-Marguerite, les Magogois ont une vision d’avenir. Et des interrogations. Une fois leur passage terminé, quelle société forgeront ces jeunes à l’approche de cette fin de millénaire? Sera-t-elle plus semblable qu’on ne le pense à celle de leurs aînés, ou aussi différente que le suggèrent leurs vêtements, leurs expressions verbales, la musique qu’ils écoutent ou la longueur de leurs cheveux? 

Même 50 ans plus tard, les réponses sont difficiles à cerner. Et ce, même si après être devenus avocats, mécaniciens, ingénieurs, professeurs, policiers, et quoi encore, les membres de la première cohorte, dont plusieurs ont quitté le marché du travail, en sont maintenant à l’heure des bilans. 

Héritiers d’un rêve, d’une ambition léguée par celles et ceux qui souhaitaient pour eux un Québec meilleur, un système d’éducation à la hauteur de leurs aspirations, ces Magogois ont-ils conscience du pas franchi en 1974? Ce 50e anniversaire constitue à cet égard une belle occasion de prendre du recul et de situer  » l’expérience  » qu’est La Ruche dans un contexte historique plus large.

Serge Gaudreau et Maurice Langlois