Démystifier la santé mentale en empruntant un livre humain

MAGOG. Les rayons de la Bibliothèque Memphrémagog ont laissé place à des livres humains le temps d’une journée, le 8 mai dernier, qui sont en fait des inconnus venus partager quelques chapitres de leur parcours de vie, marqués par des enjeux de santé mentale.

Cette activité de sensibilisation en était à une deuxième édition à Magog. À leur arrivée, les usagers de la bibliothèque étaient invités à consulter un catalogue des livres vivants disponibles. On y trouvait à l’intérieur un court résumé du parcours de chaque participant, avec son prénom, qui était disponible pour un prêt de quelques minutes, le temps d’un -tête-à-tête en privé, pour écouter son histoire.

Parmi les choix, on trouvait notamment Bruno, un homme d’une quarantaine d’années, qui vit encore aujourd’hui avec les impacts découlant d’agressions sexuelles et d’abus répétés durant son enfance. Des gestes graves qui ont été commis par son frère aîné pendant environ dix ans et pour lesquels Bruno n’a jamais reçu le support et l’aide des autres membres de sa famille, et ce, malgré des indices évidents.

« Je viens d’une famille bourgeoise, bien nantie. Des parents très instruits et reconnus dans leur carrière. Ce sont des gens qui ont su très tôt ce qui se passait, mais qui n’ont pas été capables de faire ce qu’il fallait pour empêcher et me protéger. Et au-delà des abus, il y a aussi tout le contexte familial, qui a permis tout ça, qui a eu un impact important sur moi. Personne ne m’a donné la contrepartie, en me demandant si j’étais correct ou encore en me disant que ce n’était pas normal ou encore que je ne le méritais pas. Et tout ça, mis ensemble, m’a fait beaucoup de mal », partage l’homme, sans aucun filtre.

De lourds impacts au quotidien

Récemment retraité du milieu de l’enseignement, le principal intéressé doit conjuguer avec de lourds diagnostics qui l’handicapent au quotidien, que ce soit un trouble de stress post-traumatique, un trouble d’anxiété généralisée et la dysthymie, qui est un trouble de l’humeur défini par un état de fatigue et de dépression chronique. « Le matin, c’est le moment de la journée où je prends le moins de médicaments et j’en prends sept différents. Et la moitié sert à contrer les effets secondaires des autres. Je vais avoir bientôt 42 ans et je me sens le double de mon âge. Juste pour sortir de chez moi, j’ai un protocole qui me prend quatre heures. J’ai besoin de ce temps pour me préparer et nettoyer mon cerveau afin d’être fonctionnel pour ma journée. C’est ma réalité quotidienne. »

À ses yeux, son plus grand handicap est le fait que son lourd vécu n’est pas visible du regard des autres. Si bien, que souvent, par ses combats intérieurs qui ont un impact sur ses comportements, il peut être rapidement la cible de jugement et d’incompréhension.

Voir au-delà des apparences

D’ailleurs, en participant régulièrement à des activités de livres vivants, Bruno espère briser certains préjugés afin que les gens, qui ne sont pas confrontés à des problématiques similaires, puissent tout de même être plus sensibles à ces réalités. Il est d’ailleurs d’avis que la violence faite aux hommes est encore trop taboue dans la société et les services d’aide sous-financés. « Comme toutes les personnes ayant été agressées ou encore qui vivent des troubles de santé mentale, ce n’est pas écrit dans mon front. Parfois, ça ferait du bien d’avoir une certaine considération. C’est encore plus vrai dans notre société, où les stressants sont tellement présents. Les gens ont de plus en plus la mèche courte. Mais avant de s’insurger contre une personne, il faut faire attention, car on ne sait pas ce que l’inconnu devant nous a vécu dans sa vie et ce qu’il traverse. Et quand on se dit cela, notre regard change instantanément. »

Notons que cette activité était organisée par Martine Chiasson (Centre l’Élan), Kim-Hoa To (CLSC), Andréanne Chagnon (APPAMM – Estrie) et Marie-Eve Nadeau (CIUSSS de l’Estrie – CHUS) dans la cadre de la Semaine nationale de la santé mentale.