Les années 1960 et la fièvre des quilles

L’ouverture de la télévision de Radio-Canada, en 1952, est perçue avec méfiance par les promoteurs sportifs. Aux États-Unis, où les chaînes majeures sont déjà en opération, bien des amateurs préfèrent rester dans leur salon plutôt que de se déplacer et dépenser leur argent pour assister à une partie ou un combat.

Dans certains cas, l’effet est contraire. Par exemple, la première télédiffusion de «L’heure des quilles», en 1957, contribue à l’élan sans précédent de ce sport.

On joue au bowling à Magog depuis belle lurette, dans une salle de la rue Laurier appartenant aux Chevaliers de Colomb à partir de 1932. À la fin des années 1950, les quatre allées ne suffisent toutefois plus à satisfaire les amateurs. Cette tendance se répand, alors que des mégacomplexes sont érigés, comme les salons de quilles Laurentians, à Montréal, et Champions, à Greenfield Park.

À Magog, le boom arrive en 1959. Le 20 août, on inaugure la salle modernisée de la rue Laurier, propriété d’Adalbert Gravel et Armand Demers. Le Magog Bowling, dont le gérant sera Gilles «Bidou» Plante, compte désormais huit allées. Le 17 septembre 1960, c’est au tour du théâtre Centre, au 600 rue Sherbrooke, sur l’emplacement actuel du Salon les 4 Bars, d’attirer les quilleurs. On y retrouvera dorénavant, au sous-sol du cinéma, une salle de six allées.

Puis, en janvier 1964, le Main Bowling voit le jour dans le sous-sol du magasin Farmer 5-10-15 (aujourd’hui la Ressourcerie des Frontières), sur la rue Principale. Avec ses 10 allées, cela signifie que l’offre globale à Magog est passée en quelques années de 4 à 24 allées ! De plus, le dernier né innove en consacrant quatre d’entre elles aux grosses quilles, les Québécois étant habituellement plus friands des petites quilles (duckpins), un phénomène marginal sur le continent.

La demande justifie-t-elle cette offre? Au cours des années 1960, oui ! Une sortie peu coûteuse, les quilles sont un loisir démocratique, ouvert aux adultes, hommes et femmes, aux enfants et même aux retraités. Le nombre de ligues explose. Elles réunissent des travailleurs d’usines, des employés de commerces ou simplement des joueurs désireux d’une bonne compétition – Ligue de la Dominion Textile, de la Cité, New Magog, Humpty Dumpty, Dow, etc. Ils peuvent y imiter les François Lavigne et Maurice Boyer, quilleurs étoiles évoluant devant des millions de téléspectateurs, tant à «L’heure des quilles» qu’à «Télé-quilles» (Télé-Métropole).

Aménagement d’un comptoir à friandises et de plus de sièges pour le public : les nouveaux salons de quilles sont des lieux de rencontre conviviaux. Néanmoins, leur fréquentation chute au cours des années 1970. Aguichés par une gamme de loisirs qui se diversifie, les Québécois se détournent graduellement des quilles. Un incendie, le 19 mars 1968, avait mis fin aux activités du théâtre Centre. Le Main Bowling et le Magog Bowling ferment à leur tour à la fin des années 1970 et au début des années 1980.

À la fin des années 1980, le retour des quilles à la télévision contribue à redonner de la visibilité à ce sport. Le 8 octobre 1992, le Salon Memphré de Richard et Donald Boucher, Robert Bélanger et Philippe Cotnoir ouvre sur la rue Centre, dans le parc industriel. Avec ses 16 allées, huit de petites et huit de grosses quilles, ses planteurs mécaniques et ses tableaux de pointage automatiques, il est à la fine pointe de la nouvelle technologie (six allées seront ajoutées en 1995).

Il n’en fallait pas plus pour inciter des centaines d’adeptes, dont plusieurs qui l’étaient devenus pendant l’âge d’or des années 1960, à sortir du placard leurs souliers et leurs boules. Presque un siècle après ses débuts, la tradition des quilles se poursuit à Magog.

 

Serge Gaudreau