Malgré l’aide fédérale, les prix d’épicerie sont trop haut pour des Labradoriens

SAINT-JEAN — Rosie Harris, une mère de famille qui vit dans un village où le coût de la vie est l’un des plus élevés du pays, estime que les prix des produits d’épicerie sont inhumains et que les détaillants font passer les profits avant le droit fondamental des gens à l’alimentation.

Formant une famille recomposée avec sept enfants à Nain, le village le plus au nord du Labrador, Mme Harris et son mari ont trois emplois à eux deux: c’est la seule façon pour eux de pouvoir se permettre de nourrir toute la famille, dit-elle.

L’hiver dernier, alors qu’ils n’avaient que deux sources de revenus, ils sautaient régulièrement des repas pour que leurs enfants puissent manger, admet Mme Harris.

Elle se sent encore angoissée certains matins lorsqu’elle mange une rôtie, comme si elle prenait quelque chose à sa famille.

«C’était difficile de revenir à une routine dans laquelle tu peux prendre un déjeuner, un souper et même une collation. C’est presque comme si j’étais traumatisée», a témoigné Mme Harris dans une récente entrevue.

«Je ne sais pas comment ils peuvent penser que ces prix sont acceptables.» Nain compte environ 1200 habitants et est l’un des cinq villages inuits accessibles par avion le long de la côte nord du Labrador. En 2021, le coût des aliments à Nain était le plus élevé parmi les collectivités éloignées du Nord canadien, où les entreprises de vente au détail sont admissibles aux subventions du programme fédéral Nutrition Nord Canada (NNC).

Le coût estimé d’un panier de nourriture saine pour une famille de quatre personnes à Nain a grimpé de près de 62% entre 2011 et 2021, selon les données du programme. Il s’agit de la hausse déclarée la plus élevée. Ce chiffre contraste fortement avec les autres communautés du Nord admissibles à la subvention, où le prix moyen des aliments a en fait baissé de 2% au cours de la même période, selon les données.

Les subventions de NNC visent à égaliser les prix des aliments dans tout le Nord et à compenser les frais d’expédition pour que les produits restent abordables. Mais comme le montre Nain, ça ne fonctionne pas toujours, explique Nicholas Li, économiste à l’Université métropolitaine de Toronto. «Le facteur qui change toute dans ce [programme] est qu’il n’y a absolument rien qui empêche les détaillants de facturer le prix qu’ils veulent», a rapporté M. Li dans une récente entrevue.

Une offre limitée

Nain a deux magasins où les gens achètent des produits d’épicerie: Franks, qui appartient à une entreprise basée au Labrador et qui propose une sélection limitée, et le Northern Store, qui appartient à la North West Company basée à Winnipeg. Franks est connu parmi les résidents de Nain pour avoir des prix moins chers que Northern, mais moins d’offres, a rapporté Mme Harris.

À titre d’exemple des différences de prix, elle a partagé des photos avec La Presse Canadienne montrant plus tôt ce mois-ci un litre de lait 2% de marque Grand Pré à 6,19$ chez Northern et 4,99$ chez Franks. Les résidents estiment que les différences entre les deux magasins suggèrent que Northern leur facture trop cher.

D’autres résidents ont partagé des photos de Northern montrant un chou de 1,7kg coûtant 10,18$, un paquet de deux livres de prunes noires à 15,29$ et une bouteille de 1,42 litre d’huile de cuisson Crisco à 21,49$.

«C’est de la pure cupidité», en conclut Mme Harris.

La députée conservatrice Lela Evans a accusé, dans un message publié sur les réseaux sociaux plus tôt ce mois-ci, les deux magasins Northern Stores situés le long de la côte de proposer des prix abusifs et d’alimenter l’insécurité alimentaire.

Darryl Martin, porte-parole de la North West Company, a affirmé qu’il y avait des défis logistiques pour l’expédition vers ces communautés.

«Les prix reflètent de multiples facteurs, notamment les coûts liés au transport, les prix de gros et de fabrication, et les frais généraux de nos magasins», a-t-il écrit dans un courriel. «Nous évaluons constamment les produits pour nous assurer que nous fournissons à nos clients des options saines et abordables pour leurs besoins quotidiens.»

Patty Dicker, propriétaire des magasins Franks de la région, a indiqué que les subventions NNC n’ont pas suivi l’augmentation des coûts de transport.

Repenser le NNC

Le gouvernement fédéral examine actuellement le programme et M. Li a estimé qu’Ottawa devrait envisager d’introduire des plafonds de prix sur les produits subventionnés par l’argent public.

Le fédéral devrait également envisager d’aider à établir des coopératives ou des magasins gérés par le gouvernement, a-t-il ajouté.

Il a donné pour exemple les magasins d’État Pilersuisoq au Groenland et la Fédération des coopératives du Nouveau-Québec, un réseau de coopératives du Nunavik qui fournit des épiceries, des hôtels et même la télévision par câble.

«Elles ne sont pas gérées de la même manière que les sociétés cotées en bourse qui maximisent leurs profits», a-t-il indiqué, soulignant que de nombreuses coopératives dans les communautés inuites du Canada ont été créées avec l’aide du gouvernement fédéral.

«L’idée était qu’au lieu d’avoir seulement des magasins Northern, qui descendent de la même entreprise coloniale que la Compagnie de la Baie d’Hudson, il faudrait avoir plus de propriétaires locaux», a déclaré M. Li.

En attendant, il a pressé le gouvernement canadien à rendre plus de données disponibles sur les prix facturés par les détaillants pour les produits subventionnés par le programme NNC, afin que le public puisse demander des comptes aux entreprises.

Mme Harris a estimé que ceux qui examinent le programme devraient visiter Nain et constater les impacts des prix des aliments. «S’ils pouvaient voir, à partir de mon point de vue, toutes ces difficultés auxquelles sont confrontées toutes ces familles, a-t-elle dit. Parfois, on a l’impression d’être relégués au second plan parce que nous sommes loin.»