Malgré l’opposition: la loi 96 sur la promotion de la langue française est adoptée
QUÉBEC — Dans la controverse et la division, la nouvelle mouture de la loi 101, le projet de loi 96, a été adoptée mardi à l’Assemblée nationale. La version renouvelée de la Charte de la langue française a récolté 78 votes des élus, tandis que 29 élus ont voté contre. Aucun ne s’est abstenu.
En point de presse, le premier ministre François Legault a pris un ton alarmiste en affirmant, en anglais, que la loi 96 était pour le Québec français carrément une question «de survie». Il a dit estimer que, sans un tel encadrement linguistique, ce n’était qu’une question de temps pour que le Québec devienne bilingue.
Avec cette législation son gouvernement lance donc «un signal très fort» en faveur du français au Québec, particulièrement en ce qui a trait à la langue de travail, a-t-il fait valoir.
«Le français, langue de travail, c’est ce qui est le plus important», selon lui pour assurer la pérennité du français.
La loi 96 étend le processus de francisation aux entreprises comptant entre 25 et 49 employés, qui devront donc elles aussi acquérir un «certificat de francisation», tout comme les plus grandes entreprises, de 50 employés et plus, pour démontrer qu’elles fonctionnent bel et bien en français. Le secteur des petites et moyennes entreprises (PME) est souvent perçu comme un facteur d’intégration des immigrants à la communauté anglophone.
La loi 96 s’appliquera aussi aux entreprises de charte fédérale installées au Québec, comme les banques.
«C’est le début d’une grande relance linguistique», a plaidé le ministre parrain du projet de loi, Simon Jolin-Barrette, qui a qualifié la législation de «première étape» vers un Québec plus francophone.
Il s’est dit convaincu que la loi 96, nouvel encadrement linguistique survenant 45 ans après l’adoption de la loi 101 en 1977, contribuera à freiner le déclin du français, nommément à Montréal, parce qu’elle agira «sur toutes les sphères de la société».
C’est un fait que la refonte de la Charte de la langue française, déposée en mai 2021 et intitulée «Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français», ratisse très large, avec plus de 200 articles englobant une foule d’enjeux.
Pour la protéger des contestations judiciaires, la loi inclut même une clause de dérogation, qui s’appliquera à l’ensemble de la loi, comme c’était le cas avec la loi 21 sur la laïcité de l’État. La loi 96 sera incluse dans la Constitution canadienne, en vue de stipuler officiellement que les Québécois forment une nation et que le français est la seule langue officielle et la langue commune du Québec.
À l’origine, la Charte de la langue française, communément appelée loi 101, avait été parrainée par Camille Laurin dans le gouvernement de René Lévesque, avant d’être en bonne partie charcutée par les tribunaux. Elle prévoyait notamment que les enfants d’immigrants devaient fréquenter l’école française.
Le droit de travailler en français, et uniquement en français, sera mieux encadré et en principe mieux protégé, en définissant dans quelles conditions on peut exiger la connaissance d’une autre langue que le français pour obtenir un emploi.
Toute personne allophone ou anglophone souhaitant apprendre le français pourra le faire, de même que toute entreprise: l’État en fait désormais un droit fondamental. Actuellement, chez les allophones, les transferts linguistiques favorisent le français à 55 %. Québec vise 90 % de cette partie de la population.
La loi 101 ne sera pas étendue au cégep. Québec a plutôt choisi de limiter l’expansion du réseau collégial anglophone, mais sans lui imposer un recul. On veut geler la proportion d’admissions aux cégeps anglophones à 17 % du total d’admissions au réseau collégial, même si la communauté anglophone ne forme que 9 % de la population.
Pour ce qui est des soins de santé disponibles à la communauté anglophone, le premier ministre a cherché à se faire rassurant, en affirmant que la loi 96 ne changeait absolument rien à la situation actuelle.
«Je vais être très clair: on va garantir que le statu quo va rester, c’est-à-dire que les personnes, peu importe leur origine, qui ont besoin de services en anglais vont pouvoir continuer, comme actuellement, à avoir des services en anglais», a-t-il insisté.
Québec va créer un ministère de la Langue française. Le mandat de l’Office québécois de la langue française (OQLF), qui continuera à recevoir les plaintes des citoyens, sera renforcé, ayant acquis un pouvoir de coercition envers les contrevenants «même en l’absence de plainte».
La loi confirme aussi la création par l’Assemblée nationale d’un poste de Commissaire à la langue, sorte de chien de garde chargé d’enquêter de façon indépendante sur l’évolution de la situation linguistique au Québec.
On prévoit aussi créer un guichet unique pour franciser les immigrants, «Francisation Québec», qui relèvera du ministère de l’Immigration
L’État devra donner l’exemple et faire en sorte que, sauf exceptions, ses communications orales ou écrites se feront exclusivement en français. Les ministères se doteront d’une politique linguistique.
Les commerces devront faire leur part et auront trois ans pour s’assurer que l’affichage donne une «nette prédominance» à la langue française.
Oppositions
Les partis d’opposition, les uns jugeant que la loi n’allait pas assez loin, les autres qu’elle allait trop loin, ne partageaient pas l’enthousiasme du gouvernement.
L’opposition officielle libérale a voté contre, parce que le projet de loi brimait selon elle les droits des anglophones, tandis que l’opposition péquiste a voté contre parce que le projet de loi n’avait pas le mordant nécessaire pour inverser la tendance et éviter le déclin du français.
La seule députée du Parti conservateur du Québec (PCQ), Claire Samson, autrefois caquiste, a voté contre elle aussi la législation controversée. Son chef, Éric Duhaime, a fait valoir en point de presse que le projet de loi minait les droits et libertés, ce que ne peut accepter son parti.
De son côté, Québec solidaire, qui a une dizaine d’élus, a été la seule formation politique à voter pour 96, mais du bout des lèvres, en affichant d’importantes réserves, particulièrement sur la question des services publics offerts uniquement en français six mois après l’arrivée des allophones, un délai jugé trop court.
La députée indépendante de Maurice-Richard, Marie Montpetit, auparavant libérale, a appuyé le projet de loi 96, contrairement à son ancien caucus. En point de presse, elle a affirmé que du temps où elle en faisait partie, le caucus libéral était favorable à 96, une législation qui a le mérite «de faire avancer la protection du français».
Mais dans l’ensemble, le ministre Jolin-Barrette n’aura donc pas su rallier les partis d’opposition à sa démarche et à sa vision des choses, quant à sa proposition d’un nouvel encadrement linguistique susceptible de mieux protéger le français au Québec.
Contrairement à ce que prétend le gouvernement, selon le chef du Parti québécois (PQ), Paul St-Pierre Plamondon, la loi 96 annonce le déclin du français au Québec, faute du coup de barre qui aurait été nécessaire pour assurer sa pérennité.
«Nous n’avons pas à donner une caution morale à quelque chose qui est trompeur», a commenté le chef péquiste, mardi matin, en point de presse, en confirmant que sa formation politique voterait contre la réforme, malgré ses quelques avancées réelles. C’était une question de «devoir moral» à ses yeux.
Le principal sujet épineux, pour le PQ, aura été le refus du gouvernement d’étendre la loi 101 au cégep. Mais d’autres enjeux lui ont fait dire que le projet de loi 96 manquait de mordant, dont la question du statut bilingue des municipalités, qu’elles pourront conserver même si la majorité de la population est francophone, et l’absence d’indicateurs devant mesurer les progrès accomplis grâce à cette loi.
Tout en l’appuyant, Québec solidaire considère que la loi 96 est une «occasion ratée». Le parti juge «arbitraire et inacceptable» le délai de six mois imposé pour des services publics uniquement en français aux allophones et réfugiés, une «clause inapplicable», a fait valoir le chef parlementaire, Gabriel Nadeau-Dubois, en point de presse mardi. La porte-parole sur ces questions, la députée Ruba Ghazal, elle-même une enfant de la loi 101, a dit avoir tenté de convaincre le ministre de prolonger le délai six mois, mais en vain. Elle reproche de plus au gouvernement son manque de considération envers le maintien des langues autochtones.
Malgré leurs réserves, les élus solidaires ont jugé «responsable et raisonnable» de voter en faveur de 96, en prenant cependant l’engagement d’amender la loi, si QS prend le pouvoir le 3 octobre.
Le député libéral Carlos Leitao, d’origine portugaise, a renchéri en point de presse à propos du délai de six mois pour affirmer lui aussi que le gouvernement caquiste faisait preuve d’une «méconnaissance totale de la réalité de l’immigration» avec cet article.